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Le courant d'air page publique
Quand je t’ai vu pour la première fois, au bout de cette petite ruelle de Honfleur, ce n’était pas comme dans ces poèmes d’autrefois. Rien de particulier, du moins, c’est ce que je croyais. Il faisait frais et ton manteau flottait porté par un vent inattendu. Il se gonflait par moment en une voile cherchant la brise pour lancer le bateau, laissant entrevoir tes fines jambes plantées comme des mâts. Alors tu gravissais quelques marches l’écharpe en nœud pour fuir l’air frais qui s’engouffrait entre les deux murs de cette ruelle sombre laissant tes cheveux dans le vent comme des oiseaux qui prennent leur envol, dérangés par les passants. J’avais senti ton parfum quand tu m’avais croisé il y a une heure sans d’abord y prêter vraiment attention. J’admirais la peinture que quelques artistes tentaient de vendre aux visiteurs emmitouflés dans leurs vêtements. De nouveau ton parfum est venu caresser mes sens. Je me suis retourné, cherchant rapidement à qui pouvait appartenir cette douceur. Tu étais déjà assez loin quand j’ai compris que c’était toi. Au bout de cette petite ruelle de Honfleur j’ai commencé par tomber amoureux d’une silhouette. Un courant d’air m’avait choisi pour me montrer que tu existais.
Je t’ai suivi discrètement. Mais qu’est-ce que je fais ? J’aurais pu détourner mes pas à chaque rue et partir sans jamais me retourner. Mais rien à faire, je te suivais, aimanté. Je n’avais pas d’explication. Seulement quelque chose qui me disait qu’il fallait te suivre. Un battement dans mon cœur plus fort que les autres qui réveille l’endormi, secoue l'insensible. Je n’avais plus froid. Tu t’arrêtais quelques fois de longues minutes devant une vitrine pour en contempler le contenu. Je devinais ton sourire dans tes gestes lents et innocents. Quel âge as-tu ? Comment t’appelles-tu ? Tu es belle… Des interrogations arrivaient dans mon esprit tel ces embruns glacés le long des ports frappés par les vagues. J’appréciais chaque détail pour deviner qui tu pouvais être sans jamais me convaincre de venir te parler. Tu m’attires et je me retiens. Mais qu’est-ce que je fais ? Mon désir de te parler est fort, il bouillonne et, quand je suis enfin décidé de t’aborder, il recule laissant derrière lui une amère écume d’insatisfaction. Parfois je surprends mon regard dans le reflet d’une vitre. Il est brillant. Il respire la conquête de nouvelle terre, la découvert d’un trésor, d’une île jusque là inconnue… Il est amoureux ce regard.
Cette habitude de taire mes sentiments, de ne jamais dire tout de suite que je t’aime. Combien de fois t’ai-je manqué, combien de fois t’ai-je perdu parce qu’incapable de te dire les mots qu’il fallait. Ils trottent dans ma tête les mots. Ils tournent en rond sans vouloir vraiment sortir. Des ‘je t’aime’, ‘tu es belle’ ou autres ‘je suis heureux avec toi’… ils sont là , c’est sûr. Ce ne sont pourtant pas des formules magiques pour appâter un poisson mais de véritables sentiments que j’aurais voulu partager avec toi à l’ombre d’un vieil arbre centenaire face à la mer.
Ils finiront par me pourrir lÂ’esprit.
Sur le moment, j’étais incapable de venir t’accoster pour te faire plier les voiles, que tu t’arrêtes un instant et qu’on parle, qu’on s’interroge sur notre avenir. Tes pupilles que je n’aurais jamais osé fixer et que j’aurais longtemps hésité à regarder - par timidité peut-être – se seraient révélé à moi, foncées flottant dans leur laiteuse toile. Plus tard quand on se serait pris la main pour la toute première fois, j’aurais cru saisir un coquillage dont la douceur interrompue par quelques bijoux m’aurait fortement ému. Peut-être tes phrases m’auraient d’abord étourdies. Elles m’auraient bercées puis rapidement enivrées. Peut-être tes lèvres gonflées comme les vagues des plages de ton pays seraient finalement venues échouer sur mon visage salé par de trop nombreuses larmes. Je t’aurais volontiers montré ce que j’aime. M’aurais-tu demandé si je rêve vraiment d’amour quand j’écris ? Peut-être aurais-tu simplement écouté en silence.
Peut-ĂŞtre, peut-ĂŞtreÂ…
Les artères de la ville se resserrent, le temps se couvre, la pluie s’épaissit. On se dépêche ici et là pour trouver un abri. Quelques uns s’entassent devant les boutiques en attendant que l’averse se calme. Des parapluies, du mouvement… où es-tu ? Ne pars pas, s’il te plait ! Mes yeux scrutent les foules abritées sous les porches sans vraiment trouver ta silhouette. D’un coup tout le monde se ressemble enfermés dans leurs manteaux. Tu as disparu. Le sol dégage son habituel parfum quand la pluie le traverse. Les rues dallées fuient et dégoulinent dans un petit clapotement. J’attends, comme le reste de la foule, que la pluie cesse. Alors, je secouerai mon manteau, marcherai définitivement vers ma voiture. Sans me retourner convaincu que finalement j’ai encore rêvé. Je ne retiendrai de toi qu’une silhouette, un parfum, une allure et de doux espoirs sur lesquels je n’ai pu attacher aucun nom.
Un courant mÂ’avait choisi pour me montrer que tu existais.
Je reviendrai à Honfleur. J’attendrai la pluie et les clapotis sur le sol que des larmes viendront grossir. J’écouterai les parfums, un à un. Sous les devantures des boutiques je m’abriterai me mêlant à la foule. Peut-être un courant d’air me choisira pour me montrer que tu existes.
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