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24 Mars 003 page publique
Comprenez mon enfer :
"Sur le parvis, la place D.Dautry... Sur son fronton, Bordeaux, AngoulĂȘme, Le Mans, Nantes, Brest et d'autres villes sont inscrites gris sur blanc... A proximitĂ©, la place de la Catalogne... A l'intĂ©rieur des dizaines de boĂźtes sur roues rĂ©concilient, dĂ©chirent, sĂ©parent, rassemblent des gens... Ici est donc rĂ©sumĂ©e ma vie et celle qui l'anime arrivera. Je suis lĂ pour ça. J'erre dans la foule qui peuple ce bĂątiment. Il ne fait pas bon ĂȘtre lĂ -bas. Le lieu fourmille de monde. Des personnes courent. D'autres dorment. Certains s'embrassent, la sĂ©paration est proche. Une mĂšre a les larmes aux yeux, son fils est assis en face d'elle, il porte des vĂȘtements vert camouflage. Ici vit un microcosmose qui m'est familier, malgrĂ© moi sĂ»rement... Mon regard est flou, vide peut-ĂȘtre, perdu dans l'infini, cherchant deux yeux noissettes peut-ĂȘtre, ceux qui doivent arriver Quai 6 Ă 18h50 dans une "boĂźte roulante" venant de Bordeaux. Mais pour le moment, mon coeur s'accĂ©lĂšre, mes jambes sont bizarres. Tout se bouscule. Je cherche ce que je vais dire. Mais je sais que ce sera pour oublier tous ces beaux mots, ces belles phrases, quand le moment sera venu de les prononcer... Lorsqu'elle les attendra le plus... Comme un soulagement. Sensation de dĂ©jĂ vu, de dĂ©jĂ connu... Conseil : Ne jamais prĂ©voir. Je descends les escalators, visitent tous les quais, guettent le moindre retard, cherche la moindre faille dans cette industrie et cette machine parfaite. Pas une minute douteuse, pas un incident, pas une annulation... Rien qui pourrait me la laisser Ă moi un peu plus de temps. Rien qui pourrait me laisser le temps de lui dire tout ce que je l'aime, tout ce qu'elle me manque et tout ce dont j'ai besoin d'elle. Tout dĂ©file dans ma tĂȘte, mes yeux voient toutes les scĂšnes imaginables, celles vĂ©cues aussi... J'apprends par coeur le tableau des arrivĂ©es... Je ne retiens qu'un dĂ©part : Chartres, 19h00, Quai 19. Les minutes passent lentement... Le TGV est plus lent que jamais Ă s'arrĂȘter... Quand soudain la machine pousse son dernier rugissement pour laisser place Ă l'agitation, la foule, la prĂ©cipitation... Je m'avance... Je croise ceux qui vont me sĂ©parer d'elle mais qui en mĂȘme temps font que je vais la voir. Faut il les maudir ? Les remercier ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Je croise son regard. Bien sĂ»r, elle n'est pas seule. Parce que ce n'est pas aujourd'hui ni demain qu'elle sera qu'Ă moi. Ce n'est pas pour bientĂŽt que je pourrai m'asseoir auprĂšs d'elle et vivre. Mais j'attendrai, je nous le promet tu sais... Elle n'a pas changĂ©... Je l'aime je ne sais pas pourquoi... Je ne pourrais l'expliquer surtout... Elle a toujours ce mĂȘme air... Ses yeux malicieux... Ce ptit cĂŽtĂ© incertain quand elle est avec moi... Cette envie que tout soit parfait... Toujours... Parce que tout est toujours trop court entre nous comme elle dit. Je la survolerai Ă peine des yeux que je pourrai dire son odeur, son comportement, la dĂ©crire, savoir ce qu'elle pense et ressent. Je pourrais prĂ©voir ce qu'elle veut faire, ce dont elle a peur, ce dont elle a le plus envie... C'est simple... J'aurais fais, je veux et je ressens les mĂȘmes choses qu'elle. Et lĂ , tout dĂ©file devant nous. Le temps prends une nouvelle fois le dessus. Putain de temps. Putain de kilomĂštres. Elle m'Ă©chappe dĂ©jĂ . Quelques mots Ă©changĂ©s, quelques regards croisĂ©s. La sirĂšne retentit dĂ©jĂ . Je voudrais monter lĂ dans ce train. Tout arracher. L'emporter. Leur gueuler qu'elle me manque, que j'ai besoin d'elle. Ou pleurer. Pour qu'ils comprennent notre douleur. Le tas de ferraille avance, roule, il ne s'arrĂȘtera jamais. Putain de rĂ©alitĂ©. Il emmĂšne mon rĂȘve vers d'autres horizons. Elle doit vivre d'autres aventures, des gens l'attendent, elle doit faire parler son savoir, son jeu... Elle doit ĂȘtre prĂ©sente, assurer... Tout cela loin de moi, comme toujours. Elle est ma fin d'adolescence, mon prĂ©sent et sera ma vie d'adulte, je le sais. Elle est la personne que je n'attendais pas. Celle que je redoutais. Que je ne voulais pas avoir. Parce que elle, elle a les clĂ©s... Les clĂ©s de mon coeur... Et c'est la seule chose dont j'ai peur... Les clĂ©s de mes faiblesses... Les clĂ©s pour me protĂ©ger... Et celles qui m'enlĂšveront tout ces masques... DĂ©sormais, elle n'est plus qu'un petit point que je ne peux plus distinguer... La voilĂ partie. Une nouvelle fois... Bon voyage ma moitiĂ©."
Aujourd'hui je vais la revoir. J'en ai pleuré. J'en ai peur. Mais ça vous ne pouvez toujours pas comprendre...
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