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Arracheur d'enfance page publique
Tout le monde connaît la complexité de l’adolescence, cet age ingrat, antichambre de la vie d’adulte, jonché de tourments et d’excès. J’ai la chance et le privilège de travailler avec (pour) les plus torturés d’entre eux. Ce n’est pas toujours chose facile, mais ça à l’avantage d’être très enrichissant. Ceux dont je m’occupe ont entre onze et dix-sept ans. Si ce ne sont pas des anges, ce ne sont pas non plus des démons. D’ailleurs, pour la plus part, ils sont victimes. (inceste, viole, maltraitance, isolement, mépris, indifférence, abandon...) Fille ou garçon, on ne leur a pas fait de cadeau.
Hier matin, j’ai eu la lourde tâche d’annoncer à un garçon de douze ans le décès de son père. Lorsqu’il était face à moi, inquiet d’avoir été convoqué à mon bureau, j’eus toutes les peines du monde à trouver mes mots. Je ne savais pas comment lui arracher son enfance... Au bout d’un long moment, j’ai tourné ma phrase dans le sens de la douceur, et je lui ai porté le coup. Dans un premier temps il crut à une farce, une plaisanterie de très mauvais goût que les adultes devaient avoir l’habitude de faire aux enfants turbulents. Cependant, lorsque mes mains chancelantes se sont déposées sur ses épaules menues et chétives, il comprit que je ne plaisantais pas. Je revoie encore ses yeux s’emplir lentement de larmes et sa bouche tremblotante me demander: "C’est vrai, Monsieur Wilde, Papa est mort?"
J’avais envie de lui répondre: "Non, c’est une blague Petit, Papa sera toujours à coté de toi, jamais il ne te quittera!" Au lieu de ça, je l’ai achevé d’un mouvement de tête... La lumière laiteuse du jour donnait à ses larmes une couleur nacrée. Une petite perle de souffrance a roulée le long de sa joue et s’est brisée en mille éclats au contact du sol. A chaque perle, une souffrance; à chaque souffrance, un éclat qui lui entaillait un peu plus le cœur. Puis soudain, l’enfant a hurlé. Il s’est mit à taper du poing contre la cloison avant de s’adosser contre le mur et de se laisser fondre jusqu’au carrelage. J’étais le triste spectateur d’un drame macabre et je ne le supportais pas. Ne pouvant le laisser seul avec sa détresse, j’ai transgressé la loi qui nous interdit d’avoir un contact physique avec les jeunes, et je l’ai pris dans mes bras. Nous sommes montés jusqu’à l’infirmerie. Là , on lui a donné des calmants, puis on l’a allongé dans un grand lit froid. Sa main déposée dans le creux de la mienne, je suis resté à ses côtés jusqu’à ce qu’il s’endorme. L’enfant est mort. C’est un adulte qui va se réveiller...
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