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Quand la mémoire fait son cirque... page publique
Aujourd’hui, je me suis décidé à faire le ménage. J’ai passé un coup de chiffon entre mes livres, ma seule richesse, mon échappatoire... J’ai attrapé l’un d’eux et j’ai fait rouler ses pages sous mes doigts. J’aime entendre le papier, le sentir. Je crois que si j’aime autant les livres, c’est parce que je leur dois tant. Grâce à eux, j’ai déjà fait plusieurs fois le tour du monde, traversé les époques et les ages. J’ai exercé presque tous les métiers, été marié des centaines de fois, divorcé des milliers. J’ai été père de famille, j’ai tué, je suis devenu femme, redevenu enfant, traître, allié, pauvre, riche... Mon existence a été aussi instable qu’éphémère. Tous ces instants qui bouleversent une vie sont couché sur le papier, rien que pour moi, comme une confidence intime que me ferait l’auteur. Une histoire, une vie, un amour interdit, un crime atroce, une enquête, des confessions croquantes, des rires, des larmes...
Fait réel ou fictif, cela m’importe peu, du moment que je m’évade. Ma philosophie littéraire se résumait par cette phrase de Jean Giono: "Peu importe qu’une histoire soit vraie ou pas, du moment qu’elle est belle!"
Sur le haut de ma bibliothèque, trône la peinture d’une fille qui, jadis, fût une amie. Elle avait voulu me dessiner sur une toile... Je me souviens qu’au cour d’une de nos conversations, elle m’avait demandée comment je me raconterais, si je devais le faire de façon imagée. Je lui avais répondu : "Un rêveur à qui on a volé son nuage."
Ma réponse ne lui convenant que moyennement, elle m’avait dit qu’elle me peindrait, mais à sa façon de me voir.
C’est un clown que j’ai face à moi. Un clown rêveur et triste, au milieu d’un désert, assis sur une valise, dessinant, à l’aide d’un bâton, un cœur dans le sable. Lentement, j’ai passé un coup de chiffon sur mon portrait; et curieusement, c’était un peu comme si j’avais balayé la couche poussiéreuse que le temps avait déposé sur mes souvenirs. Je me suis rappelé la première fois que Maryline et moi étions allé au cirque.
Ce soir là , elle avait insistée pour aller applaudir la troupe d’un cirque, qui, disait-elle, passait rarement dans la région. Comme beaucoup de jeune fille de sa génération, Maryline n’était qu’une enfant qui souffrait du mal d’avoir grandi. Sous sa plastique de jeune femme se cachait une petite fille capricieuse et ingénue, qui semblait découvrir chaque jour, un monde auquel elle ne pouvait prétendre appartenir. Maryline aimait le cirque, sa fantaisie, sa magie et son cortège d’illusions. En règle générale, elle aimait toutes les petites choses qui flirtaient avec l’onirique et le merveilleux; et durant le trajet, elle n’avait cessé de me chanter les louanges de ce divertissement itinérant. Les deux mains sur le volant, les yeux rivés sur l’asphalte, j’acquiesçais par de petits hochements de tête. Face à une telle verve, comment aurait-il pu en être autrement. Depuis qu’elle avait lu cet article élogieux consacré à la troupe du cirque dans le quotidien régional, j’avais été pris à la gorge, et je savais que je n’aurais pas eu le cœur de briser son enthousiasme. Alors sans un mot, je l’écoutais s’extasier, quelque peu frustré de n’avoir pu rester chez mes beaux-parents, confortablement enfoncé dans le fauteuil du salon, à finir le roman que j’avais entamé la veille. Une fois sous le chapiteau, nous avions tous deux levé la tête, impressionné par l’immensité du lieu. Le journaliste disait vrai, ce n’était pas qu’une imposante tente en toile rouge ou l’on y jouait un spectacle, mais bel et bien une cathédrale du divertissement. Par crainte de ne pas trouver de places l’une à côté de l’autre, je me hâtais vers les estrades, et alors que je commençais à gravir les premières marches, Maryline m’agrippa par le tee-shirt. -Attends! Viens avec moi, on va aller s’asseoir là -bas. Me disait-elle en pointant son doigt en direction des enfants. -M’enfin mon amour, on a passé l’age! Répondais-je surpris par une telle suggestion. -Ce n’est pas une question d’age ! Tu te souviens lorsque tu m’avais emmené voir ce match de foot au stade de France ? -Et comment ! Quel match ! -Bon, tu avais insisté pour aller derrière les buts ? -On m’avait offert les places... -Oui, mais tu avais accepté d’y aller parce que justement c’était derrière les buts, je me trompe? -Non. -Et pourquoi ces places t’avaient-elles intéressées plus que d’autres? -Parce que c’est là qu’en règle générale il y a la meilleure ambiance. -Eh ben voilà , le cirque, c’est comme le stade. Alors moi, je vais m’asseoir là où il y a le plus d’ambiance, c’est à dire au milieu des enfants! Elle me tourna le dos et s’exécuta. Médusé, je ne pue que la suivre du regard. Assise au deuxième rang, Maryline tapotait un siège à sa gauche, me faisant ainsi comprendre qu’elle attendait que je la rejoigne. Penaud, je m’étais avancé jusqu'à elle qui, le sourire décuplé, m’affirma que je ne le regretterais pas.
Les lumières s’éteignaient et un roulement de tambour requît le silence. Les projecteurs se braquaient vers les coulisses, puis deux clowns sortirent de l’ombre d’un rideau. A peine avaient-ils fait leur apparition que je me sentis fébrile. Espérant disparaître derrière une petite tête blonde, je me refermais sur moi-même, voûtant le dos, les avants bras appuyés contre les genoux. Mais Maryline n’ayant pas bougé, les joyeux plaisantins nous démasquèrent assez rapidement. Les lumières se tournaient vers nous. Quelle aubaine pour les clowns, ils ne pouvaient espérer meilleure opportunité pour débuter le spectacle qu’en ironisant sur un jeune couple égaré au milieu des enfants. -Tiens, tu voies qu’en mangeant de la soupe on devient vite plus grand. -Mais non, c’est parce qu’ils travaillent mal à l’école. Je suis sûr qu’ils sont encore à la maternel. Oh les nuls! Affirma le clown vêtu de blanc dans un rire moqueur. Les joues rubicondes, je tournais la tête de gauche à droite. Je me tassais un peu plus sous le poids de la honte. Le clown blanc se mit à me mimer. Maryline riait aux larmes, et les petits rires cristallins des bambins qui nous entouraient, finirent par me faire tourner cette situation à la dérision. Plus tard dans la soirée, le même clown arrosa une partie du public avec des confettis. Alerté par les cris des spectateurs, celui au chapeau noir accourut sur la piste affolée. -Qu’est ce qui se passe, un lion s’est échappé! -Non! Hurla la foule avant de raconter ce qui venait de se passer dans un grondement incompréhensible. Le joyeux plaisantin au chapeau réprimanda son compagnon avant de le courser. Mais après quelques tours de piste, n’ayant pu l’attraper, il se résigna et affirma que l’idée de son camarade n’était pas si stupide; voir même, qu’elle pouvait être amusante. Prétextant qu’il allait chercher un autre sot de flocons festifs pour les arroser, il sortit sous la virulente protestation du jeune public. Le clown blanc, emballé par le plan de son partenaire, voulût le rejoindre, mais sitôt qu’il fut arrivé à hauteur des coulisses, le clown au chapeau noir le coursa armé d’une énorme massue en mousse. Emporté par mes voisins, j’éclatais de rire. De même que je les suivis dans leurs commentaires au passage des éléphants, dans leurs frayeurs pendant l’envolée des trapézistes et à leur admiration pendant le numéro des jongleurs. Maryline m’attrapa la main et la porta à ses lèvres. D’un sourire chargé de tendresse, je la glorifiais de sa brillante idée. C’était la première fois que je m’amusais autant en allant au cirque, et ce fut le visage émerveillé, mais confondu de regret, que j’applaudis à la fin de la représentation.
"Si tu veux renaître, commence par mourir!" David.G.Ware. (Musicien de Jazz)
Ce que Monsieur Ware a oublié de dire, c’est qu’il est difficile de mourir; surtout quant on a de la mémoire. On ne peut pas tout effacer aussi facilement. Le passé laisse des traces, des écorchures, des cicatrices qui ne se combleront jamais, jamais...
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