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Une vulgaire tache d'huile page publique
Ce matin, fraîchement sorti de ma réunion, je suis allé boire le café avec Gris-lit. Il y’avait longtemps que nous n’avions pas échangé un mot. Il me faisait un peu la tête et je le comprenais.
Voilà deux mois de cela, peu avant de partir en week-end, Ping-pong avait laissé sur mon bureau une note me demandant de communiquer à Grise-lit une information de la plus haute importance. Par cinq fois, mes doigts composaient le 174. Occupé! Je faisais les cent pas dans mon bureau, je râlais et consultais l’horloge au-dessus de l’armoire, jurant inlassablement après la course effrénée que se disputaient les aiguilles. Au bout de la sixième tentative: -Allo ? -Ah, enfin ! Dix minutes que j’essai de te joindre ! Je paris que t’étais encore au téléphone avec Wonder-Woman. Bon je suis pressé alors je t’appelle pour...
C’est à ce moment là que tout s’est gâté. Gris-lit et Wonder-Woman (qui bosse dans le même service que le mien) forment un couple "illégitime". Tous deux sont mariés, tout le monde est au courant de leur relation mais ça reste tabou. (Logique?)
-Qu’est ce que ça peut te foutre que je sois au téléphone avec elle? Qu’est ce que ça veut dire ça? -ça veut dire que tu fais ce que tu veux avec ton nœud du moment que tu m’empêches pas d’être en retard. -Non mais, petit con! Tu vas pas me faire...
Vous comprendrez aisément que je censure une grosse partie de notre conversation hautement intellectuelle.
-T’as de la chance que je ne peux pas me déplacer, parce que je t’aurais emplâtré! -C’est pas un problème, moi je peux, j’arrive!
Je lui ai raccroché au nez et j’ai enfilé ma veste avant de prendre le chemin de son bureau. Au cours du trajet (trois cents mètres) ma petite voix me dit:
"Attends Wilde, tu l’agresses et tu vas le voir pour te battre? Espèce d’homme des cavernes, tu agies comme ceux que tu méprises. En plus, t’y vas même pas pour te battre mais pour te faire massacrer. Je te rappelle que tu mesures un mètre soixante-dix pour soixante-huit kilos, alors que Gris-lit fait un mètre quatre-vingt-quinze pour cent trente kilos. Juste avant de partir en week-end, Wilde, enfin! C’est peut-être pas le bon moment pour te faire pousser une paire de couilles." (Ma petite voix est très vulgaire lorsqu’elle est lucide)
Je ne me suis pas dégonflé pour autant et j’ai poussé la porte de son bureau. "Bon, j’avais pas à te dire ce que je t’ai dit et je m’en excuse. Alors si tu veux me péter la gueule vas-y! Mais fait vite, je suis pressé!"
Ses yeux se sont écarquillés en grand. Il semblait surpris de me voir quand même débarqué. Moi, je devais avoir l’air ridicule. Grise-lit est resté de longues secondes à me dévisager, sans prononcer un mot. Nous nous sommes expliqué entre "hommes" avant de nous quitter, sèchement.
Bon, ça c’est la version enrobée de miel, parce que je dois avouer que lorsque Grise-lit s’est levé, je faisais pas le malin et j’ai vraiment cru qu’il allait me décrocher une droite. (En somme, si on m’avait mit une olive dans l’anus, j’aurais fait de l’huile tellement j’ai serré les fesses.)
Depuis tout est rentré dans l’ordre. On aurait même pu croire que ce petit incident n’avait jamais eu lieu. Parfois je suis un peu trop impulsif et ça me joue des tours.
Je pourrais finir cet écris par une phrase du style: ne plus déraper, éviter les taches d’huile et tout ira bien. Mais je réalise qu’il faudrait que je me corrige. Or, je veux être celui que je suis. Et puis, soyons objectif, je n’y arriverai pas, je ne peux (veux ?) pas me changer. Je porterai toujours sur moi la trace d’une futur tache d’huile. Je me condamne à me souiller.
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